CORRESPONDANCE 2
Il n’était pas évident, pour le Congrès national indigène (CNI) et l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), d’organiser ici l’inauguration et la première compartición du Festival. Car cette partie de l’État de Mexico est l’un des gros bastions du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), actuellement au pouvoir au Mexique, et certaines zones y sont aussi connues pour être le terrain de jeu de groupes de narcotrafiquants. Pour le Festival, s’implanter ici relevait donc à la fois du défi et d’un important acte symbolique, et ce d’autant plus que l’actuel président du Mexique, Enrique Peña Nieto, y a son fief, à quelques dizaines de minutes à peine de Xochicuautla : la municipalité d’Atlacomulco, dont il fut le député PRI dès 2003.
Arrivée à la communauté...
Après
avoir livré toute une bataille sur les routes de l’État de Mexico
– véritable labyrinthe où les indications sont rares –, nous
arrivons, vers 13 heures, à la communauté de Xochicuautla. Sur le
trajet, quelques kilomètres avant de parvenir à bon port, nous
avons pu voir de nos yeux l’avancée des travaux de l’autoroute
Toluca-Naucalpan contre laquelle se battent les Ñahtó de
Xochicuautla : de gros piliers de béton commencent déjà, ici
et là, à jaillir de la montagne, éventrant la forêt, bientôt
parés à soutenir l’énorme route.
Arrivés
à la communauté, nous sommes accueillis par le service de sécurité,
qui veille à ce que personne d’autres que les délégués du CNI
et de la Sexta n’entre dans l’enceinte du Festival – précaution
légitime, Xochicuautla faisant figure de petit village gaulois dans
cette zone terriblement priiste. Passé les contrôles, nous
descendons enfin de voiture et procédons à l’enregistrement de
notre présence pour obtenir le gafete
(badge qui nous identifiera comme délégué tout au long du
Festival). Un vaste chapiteau a été installé, au bord de la route,
pour accueillir les interventions et les échanges qui vont avoir
lieu pendant ces trois jours. Une grande banderole souhaite la
bienvenue à tous et à toutes et les murs de certaines maisons
arborent déjà de belles fresques, lesquelles, pour la plupart
peintes la veille, mettent en scène des symboles de la résistance
indigène. Un coin cuisine a été installé et, déjà, les
« marmites » mijotent à côté des casseroles pleines de
café. A l’entrée du chapiteau, comme pour rappeler que nous ne
sommes pas ici au Club Med, un panneau invite les délégués à ne
surtout pas sortir de l’enceinte du festival et à contacter le
service de sécurité si nous apercevons certains des hommes et des
femmes dont les photos sont affichées – et qui ne sont autres que
des flics ou des agents du PRI.
L’accueil du Conseil suprême indigène
Vers
14 heures, tous les délégués sont appelés à se réunir sous le
chapiteau pour la cérémonie d’ouverture du festival. Nous
accueillons d’abord une délégation de parents d’étudiants
disparus d’Ayotzinapa, moment fort intense et particulièrement
grave, la réalité de ce crime d’État cessant soudain d’être
de simples articles de journaux pour prendre chair dans ces corps
marqués par la douleur. S’ensuit une petite procession, baignée
dans l’encens et rythmée par une musique semblant jaillir de temps
anciens, qui marque l’arrivée, sous le chapiteau, du Conseil
suprême indigène autonome de San Francisco Xochicuautla – nos
hôtes, donc.
L’un
des membres du conseil prend ensuite la parole pour nous souhaiter la
bienvenue dans la communauté et saluer tous ces délégués venus
d’horizons, d’États, de pays, de luttes, de cultures si variés.
Bien sûr, la question du respect de la terre est au cœur de ce
discours, et le Conseil suprême indigène insiste sur l’importance
aujourd’hui de se battre pour préserver la nature face à
l’avidité des entreprises capitalistes qui, pour accumuler
toujours plus de capital, sont prêtes à détruire l’équilibre de
la planète, avec la complicité des Etats. Il salue ainsi les
peuples, les organisations, les collectifs, les individus qui,
partout dans le monde, luttent, avec courage, pour « défendre
la vie » contre
les gouvernements assassins et corrompus. Pour le Conseil suprême de
Xochicuautla, c’est rien moins que le futur de la planète et de
nos générations qui se joue en partie au sein de ce premier
Festival mondial des résistances, qui doit nous permettre de
franchir une nouvelle étape dans le combat anticapitaliste :
celle de la mise en lien des rébellions et des luttes, à l’échelle
internationale, pour rompre l’isolement.
Après
l’intervention du Conseil suprême et celle de la communauté San
Lorenzo Huitzizilapan (municipalité de Lerma) – qui se bat, elle
aussi, contre le projet d’autoroute Toluca-Naucalpan –, les
compañeros
de San
Sebastián Bachajón
(Chiapas) prennent la parole pour exiger la libération immédiate de
trois de leurs frères de lutte, actuellement incarcérés et
torturés, et pour nous annoncer une bonne nouvelle, à savoir la
récupération de plusieurs terres, la veille. Une belle façon de
clôturer cette inauguration et cette première journée du Festival
mondial des résistances et des rébellions contre le capitalisme,
avant d’entamer, le lendemain, l’essentiel : la compartición
du CNI et de la Sexta.
Guillaume
San
Francisco Xochicuautla, le 21 décembre 2014
Kortatu - En la Línea del Frente
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